Le Kig-ha-farz, l'un des mets emblématiques de la cuisine bretonne, est une sorte de plantureux pot-au-feu, riche en légumes variés et en simili carne (en remplacement des viandes), qui se particularise par l'apport de son fars (ou farz). Ce dernier, émietté dans l'assiette, lui vaut le surnom de “couscous breton”!
Ce fars (une boule de farine de blé noir, tantôt enrichie de raisins secs ou de pruneaux) sera mise à pocher dans le bouillon des légumes (chou, carottes, navets, poireaux, oignons, céleri) et du simili-carne (nous avons utilisé du tofu fumé). Pour la végétalisation de ce fars pod (voir “Un peu d‘histoire”), nous avons remplacé le lait et l’œuf par de la crème végétale, et le saindoux par de l'huile neutre.
Le fait qu'en version veggie la cuisson dure moins de deux heures (contre trois dans la version omni, où il faut d'abord faire cuire les viandes), ce plat d'hiver vous tend les bras. Et si vous aimez la Bretagne, bretonnisez-vous ! Pour se mettre en appétit, on peut servir en entrée le bouillon, à la teinte grisaillante (la boule de sarrasin ayant “déteint” lors du pochage) et d'une finesse gustative surprenante, possiblement sur des croûtons de pain. Puis, extraire le fars de son sac pour le couper en tranches ou l'émietter en l'arrosant d'un peu d'huile. Disposer les morceaux de légumes et le simili-carne tout autour.
Un peu d'histoire
Assez méconnu hors de ses frontières bretonnantes (la moitié occidentale de la péninsule armoricaine, correspondant à la Basse-Bretagne, où on parle breton, par opposition à la Haute-Bretagne, à l'est, où on parle gallo), le kig-ha-fars (du breton kig, “viande”, ha “et”, farz, “farine”) est une spécialité léonarde* typique. Il se confectionne avec des légumes en abondance (carottes, navets, poireaux, oignons, céleri, chou) et plusieurs viandes (porc et veau), le tout servi avec le fars ou farz (une pâte au sarrasin, nouée dans un linge et mijotée à même la cocotte).
Si le «centre de gravité» du kig se situe dans le Léon, où quelques localités (telle Saint-Renan) lui ont apposé leur “griffe”, il a fait des émules dans les provinces et contrées avoisinantes (Trégor, à l'est, Poher, au sud-est, et Cornouaille, au sud), ainsi que sur les îles (Ouessant, Sein, Belle-Île), chacune l’adaptant à sa manière. Quelque peu tombé en désuétude (en dehors du Léon) dans les années 50-60, l'engouement pour ce plat renaît depuis le dernier quart du siècle précédent sous l'impulsion d'associations bretonnes (très dynamiques à Paris et dans les grandes villes) ou à l'occasion de certains festivals régionalistes.
Naguère considéré comme une nourriture du pauvre (bien que ne cessant de s'enrichir, à partir du milieu du XIXe siècle, à mesure de l'essor légumier de la Ceinture Dorée*, grâce aux amendements marins des terres agricoles), ce pot-au-feu se démarque donc par l'utilisation d'une pâte à base de farine de blé noir (farz gwinizh-du), cuite dans un «sac» (un simple linge de maison noué) dans le même bouillon que les légumes et viandes. Gonflé par la cuisson, le «farz» prend alors la forme cylindrique du sac. On dénoue alors ce dernier, et on roule le fars à la main ou on l'émiette à la fourchette (ce qui lui donne un aspect de semoule grisâtre) pour en faire du «farz brujun». Il peut se déguster également en tranches, dorées éventuellement à la poêle, arrosée de beurre.
*Du Léon, province de Basse-Bretagne, située à l'ouest de Morlaix et au nord de Brest. La Ceinture Dorée (bande légumière de 20 à 40 kilomètres de large courant sur le pourtour de la péninsule armoricaine, en particulier sur le littoral septentrional), est réputée pour ses artichauts, choux-fleurs, brocolis, oignons rosés, pommes de terre primeurs, endives, haricots blancs (cocos), tomates...
Le fars (farz ou far) est une pâte de blé noir (farz-gwiniz-du), parfois de froment (farz-gwiniz), parfois des deux (farz-daou-hanter), mise à cuire dans un sac de toile, donnant le far en sac (farz sac'h), suspendu à l’intérieur du pod («pot», ou marmite) et que l’on coupe ensuite en tranches pour manger avec le lard, ou bien que l’on émiette, en la roulant entre ses paumes, dans l’assiette creuse où était servie le pot-au-feu (kig). Cette pratique (en train de se perdre), caractéristique de la Bretagne occidentale, rappelle celle de la semoule du couscous roulée orientale. Les puristes l'apprécient aussi réduit en morceaux (bruzunog), arrosé d'une sauce au beurre fondu, aux échalotes, oignons et lardons... que certains saupoudrent même de sucre.
Parmi les variantes du fars pod, les amateurs connaissent bien les kunpod: petites boulettes de fars, roboratives, agrémentant les soupes ou certains plats.
Le fars (cette pâte de céréales, issue d’une bouillie de farine délayée au lait, enrichie, tantôt de crème fraîche et d’œuf, tantôt d’oignons ou d’herbes, tantôt de saindoux ou de chair à saucisse, tantôt de raisins secs ou de pruneaux), faisant office de pain, doit beaucoup au fait que, jusqu'à la Révolution, l'utilisation des fours banaux était assujettie à une taxe. Ainsi, pas un foyer du Léon qui ne possédait de ces sacs spéciaux (en lin, joliment cousus) pour cuire le far. En Cornouaille, ainsi que dans d'autres régions bretonnes déshéritées (jusqu'en Brière) et déboisées, on mangeait ce fars avec le bouillon... Le farz sac'h, cuit seul ou avec du lard, permettait de nourrir les ouvriers agricoles, en particulier les journaliers que le paysan allait embaucher chaque matin. Les légumes utilisés pour le kig-ha-farz dominical (cuisant le temps de la messe) provenait du courtil, du liorzh (le jardin proche de la maison).
A noter que ce genre de “boules” n'est pas sans évoquer les farcidures du Limousin (voir notre recette), ainsi que la grosse boule pochée trônant au milieu des assiettes de goulasch servies en Autriche et en Hongrie.
Précisions sur le sarrasin: voir à galette de blé noir.
Recette
Ingrédients
(pour 4 personnes)
600 à 800 g de tofu fumé et/ou de seitan* (voir notre préparation)
1 petit chou vert pommé (plus ou moins de 1 kilo)
6 navets moyens (plus ou moins de 700 g)
6 belles carottes (plus ou moins de 750)
4-5 oignons blonds moyens (plus ou moins de 500 g)
2-3 poireaux
1 à 2 branche(s) de céleri (céleri branche vert ou blanc)
1 bouquet garni
Huile de cuisson (pour le chou) + 2-3 cuil. à soupe (pour le service)
1 à 2 cube(s) de bouillon de légumes (selon vos goûts)
2 clous de girofle (facultatif)
Poivre en grain (ou en poudre à défaut)
Sel (selon vos goûts)
*Si vous optez pour le seitan, prévoir d'ajouter dans la cocotte de la fumée liquide ou une cuillérée de paprika fumé.
Pour le fars
150 g de farine de blé noir
25 cl de crème végétale
1 poignée (75 g) de de raisins secs (ou ½ + ½ de pruneaux hachés)
1 cuil. à soupe d'huile
Paprika fumé (ou autre(s) épice(s) de votre choix)
Sel
Préparation de recette
Remplir un faitout avec 3 litres d’eau. Y jeter le(s) cube(s) de bouillon, quelques grains de poivre, le bouquet garni et porter à ébullition.
Pendant ce temps, préparer le fars: dans un saladier, délayer la farine de sarrasin (blé noir) avec la crème végétale, le sel, des épices éventuellement, les raisins secs (ou les raisins secs et pruneaux hachés). Si on ne dispose pas d'une poche en tissu, s'en remettre au système D: placer un linge propre (un torchon ou une serviette fine, à défaut une manche de... chemise nouée) au fond d'un récipient de manière à ménager un creux. Y verser le contenu du saladier, lequel doit être fluide et épais. Refermer le linge et bien le nouer avec de la ficelle.
Introduire le fars dans le bouillon mijotant et coincer le haut du linge sur le bord de la cocotte en reposant le couvercle. Ajouter également le tofu fumé coupé en morceaux et laisser bouillonner pendant 30 minutes.
Pendant ce temps, éplucher et laver les légumes. Couper les oignons en gros quartiers (certains y plantent 1 ou 2 clous de girofle) et les navets en 2 si trop gros. Couper les poireaux en gros tronçons. Couper le chou en quartiers et le faire blanchir 7 à 8 minutes à l’eau bouillante salée, avant de l’égoutter. Faire revenir 5 minutes ce chou dans une poêle avec l'huile. A l’issue de cette première cuisson, verser tous les légumes dans la marmite et laisser cuire 1h30.
Pour le service: Servir d'abord le bouillon (éventuellement, sur croûtons).
Sortir le fars de son sac. Le faire rouler en le manipulant pour l'émietter. Placer le fars au milieu d'un grand plat. Répartir l'huile dessus. Sortir les légumes et les simili-carne du bouillon à l'aide d'un écumoire et disposer les morceaux autour.
NB: vous pouvez disposer dans l'assiette votre fars en tranches, comme sur notre photo.